L'éloquence des silences, Joëlle Ingber

« Je vais vous poser une question qui va probablement vous heurter.

…Imaginez, - bien sûr, on espère que cela n’arrivera pas-, mais imaginez que malheureusement, cette septième FIV ne fonctionne pas, que vous ayez tenté toutes vos chances, et que vous ayez la certitude que ne puissiez pas avoir d’enfants. Que vous sachiez qu’il n’y a plus d’autres moyens à votre disposition. Que feriez-vous de différent ?....  ».

Elsa me regarde, effarée. Son regard oscille entre la terreur et l’horreur, elle fait « non »  de la tête, et immédiatement, elle a les yeux embués de larmes.

Elle lâche mon regard, et ses yeux partent dans le vide, puis fixent le sol.

Les larmes coulent…

 

Silence…

Une interminable minute.

Elle ne lève pas la tête.

Et encore une minute…

Pas un mot…

 

Je la regarde, posément, avec bienveillance, et je ne bouge pas d’un pouce.

Pas un bruit.

Réflexe d’hypnose, je calque ma respiration sur la sienne et j’attends tranquillement.

Tout au plus, je me lève doucement et lui tends silencieusement la boîte de mouchoirs qui se trouve à côté d’elle, puis reviens à ma place.

Pas un mot…

Juste un silence, qui crée un espace de réflexion et de possibles.

Avec confiance et présence.

 

Au bout d’un moment où le temps a été suspendu, elle lève doucement la tête et me dit, la voix étranglée « Si je ne peux pas avoir d’enfants, alors je lâche tout, et je pars au bout du monde ».

Je plante mes yeux dans les siens, expire posément, et hoche doucement la tête : « ok… vous partiriez au bout du monde.. » ;

Même chose avec Denis, qui arrive très tendu à la séance, avec un post-it empli de notes. Il s’assied sur le bord du fauteuil, me regarde à peine, et commence la séance en débitant d’une voix saccadée tout ce qui lui est arrivé depuis la fois dernière, en consultant ses notes de manière fébrile.

Son non verbal me montre qu’il a besoin  de tout m’expliquer.

Je note, hoche la tête en le regardant attentivement, et écoute en silence jusqu’au moment où je le vois se détendre, et s’asseoir dans le fond du fauteuil.

C’est seulement à ce moment-là que je prends la parole en récapitulant : « Si j’ai bien compris tout ce que vous m’avez dit, Denis, il s’est passé une série de choses difficiles depuis la dernière fois... »       

 

Ou encore Philippe et Sophie qui viennent en thérapie de couple pour la 4eme fois :   un problème de communication, après celui de la gestion de la famille.

Une question posée, après les avoir écoutés tous les deux m’expliquer avec véhémence combien l’autre n’écoute pas:

« Je vais vous demander quelque chose qui peut peut-être vous sembler curieux : comment pourriez-vous faire pour aggraver votre manque de communication tous les deux ? »

Silence stupéfait- ils se regardent- arrêtent de parler puis se tournent vers moi,  l’air légèrement incrédules. Entre la colère et l’envie de rire. 

Je les regarde en alternance, en laissant ma question flotter dans l’air…

Puis Philippe dit, pensivement… « Mwouais… je vois où vous voulez en venir.. « 

 

Ayant le plaisir de former des thérapeutes depuis plusieurs années et de les accompagner en immersion[1], j’ai pu observer à de nombreuses reprises combien les thérapeutes ou coachs sont gênés par le silence du patient.

Ils ont l’impression de s’être trompés, se tortillent, reposent la question autrement,  se sentent obligés de préciser, ou ajoutent une autre question, quand ce n’est pas une série en rafale.

Rien de pire que cette tentative de régulation des aspirants coachs et thérapeutes

Car le silence a une place capitale en thérapie.

 

« Le silence est comme l’ébauche de mille métamorphoses » nous dit Yves Bonnefoy.

 

Il est important de pouvoir l’apprivoiser,  et de pouvoir l’accueillir avec sérénité.

Car chaque fois qu’une personne accompagnée répond à une intervention ou une question par un silence, c’est que nécessairement, quelque chose d’important se passe : un souvenir qui émerge, une idée qui fait son chemin, un recadrage qui fait mouche, une émotion submergeante qui surgit puis s’atténue,  une réflexion qui se construit.  

Avoir peur de ces silences, c’est briser une opportunité d’avancée du travail.  

 

Tout est donc dans l’état d’esprit, qui se traduira dans l’attitude du thérapeute qui va accompagner ce silence : selon les cas, ce sera un moment de gêne, ou au contraire, un espace de communion et de confiance transmise par l’accompagnant, qui laisse la place à un cheminement intérieur.

Et comme 93% de notre communication est non-verbale, notre rapport au silence sera compris par la personne accompagnée : « le silence en dit souvent trop pour être un moyen sûr de ne rien dire » 

François Roustang,  dans un magnifique hommage au non-vouloir et à l’humilité des accompagnants, nous parle de la puissance des silences en thérapie[2]. Ils sont partie prenante à la thérapie et constituent des respirations essentielles, imposées par le patient.  « La plus grande révélation est le silence », dit Lao-Tseu

 

Alors…

Respirez

Regardez

Ralentissez

Accueillez

Accompagnez

 

Si la personne n’a pas compris la question, elle ne restera pas en silence : elle vous le demandera.

Si elle reste en silence, c’est qu’un cheminement intérieur est en cours.

  « Si la parole est l’expression de la pensée, le silence est l’organe du sentiment, et c’est souvent quand la bouche se tait que le cœur parle le mieux [3]»

 

Il ne me reste plus qu’à me taire…

[1] Stade ultime des études de thérapie au cours de laquelle les étudiants reçoivent des patients en entretien tout en étant filmés et accompagnés par le formateur qui visualise et guide la séance en temps réel 

[2] Roustang F., « Savoir attendre pour que la vie change », Odile Jacob, 2006

[3] Alfred Auguste Pilavoine (1845)

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