Regarder son futur à 180°! Anne-Sophie Kersten

un exercice enseigné par Kristin Neff et Christopher Germer*, praticiens de l’auto-compassion en pleine conscience. En séance de thérapie brève, il m’arrive de le proposer aux personnes qui ont l’impression de ne pas savoir ce qu’elles veulent faire de leur vie, et qui sont bloquées par des pensées limitantes (croyances, autocritiques, jugements : « qu’en penseraient les autres ? », « se reposer, c’est du temps perdu », « je ne suis pas créative », etc.) et des émotions qui réduisent leur champ de vision vers leur futur. 

Cette pratique qui consiste à regarder notre futur depuis la fin de notre existence aide à accéder à nos valeurs et à nos besoins. Elle est utile en thérapie brève à condition bien sûr d’être à 180 des TR de notre patient. Elle l’est par exemple si il a tellement peur d’échouer qu’il ne se projette jamais dans des succès, de crainte de souffrir. 

 « Vous pouvez garder les yeux ouverts si vous le souhaitez ou bien les fermer. Posez vos pieds sur le sol et sentez le contact avec celui-ci sous votre pied gauche… Puis sous le droit... Peut-être y a-t-il des zones précises où vous sentez votre chaussure autour de votre pied… »

Après quelques phrases d’activation de la conscience, Neff et Germer proposent au patient de s’imaginer très âgé, à la toute fin de sa vie : il est assis dans un très beau jardin, sur un banc face à un paysage inspirant, et il éprouve un grand sentiment de joie et d’accomplissement. Il est heureux car il a mené une belle existence, pas toujours facile certes, mais où il a pu rester en accord avec ce qui compte vraiment pour lui… « Pouvez-vous me dire, là, quelles sont les valeurs fondamentales qui ont donné sens à votre vie ? » 

Les spécialistes de l’auto-compassion proposent ensuite de demander au patient toutes les façons dont il lui semble que sa vie n’est pas en accord avec ces valeurs fondamentales, et ensuite de repérer si ces freins consistent en des facteurs externes - comme l’argent et le temps - ou internes - comme la peur de l’échec. J’invite mes patients à les noter.

Lors de cette visualisation, Mathilde, 27 ans, fille unique, coincée dans les attentes de ses parents, semble s’allumer. Jusqu’à son récent craquage émotionnel, elle avait tenté de rester fidèle aux ambitions qu’ils avaient pour elle : devenir prof de math à l’université. « Autour de mon banc dans le jardin de ma vieillesse heureuse, ce sont des étudiants du secondaire que j’ai vus… Je me rends compte que je préfère donner cours en rhéto, où je me sens plus engagée dans la réussite de mes élèves, qu’à l’univ’ où les étudiants sont plus des ‘numéros’. Même si mes parents trouvent cela moins prestigieux. »

Charles, 74 ans, organisateur de master class en musique classique, me fait remarquer malicieusement qu’il ne doit pas faire beaucoup d’efforts pour s’imaginer vieux… L’exercice lui permet de se visualiser très entouré, de nombreux amis, de musiciens et de sa famille. Il prend conscience qu’il veut briser l’isolement dans lequel l’annulation (Covid) de tous les concerts l’a plongé. « Je vais m’acheter un vélo électrique ! Et je vais passer dire bonjour à tous mes petits-enfants. »

*Mon cahier d’autocompassion en pleine conscience, Kristin Neff et Christopher Germer, De Boek supérieur, 2020.