Culpabilité et prescription de symptôme par Pascale Materne

Rares sont les journées de consultation où le mot culpabilité n’est pas prononcé. Evidemment, parfois, il s’agit de cette juste dose de culpabilité qui permet une remise en cause salutaire afin de mieux réguler une relation de couple, une relation familiale ou une relation de travail. Mais régulièrement des patients me parlent d’une culpabilité qui, par son dosage excessif, perd toute utilité adaptative.

 Le cas clinique repris ci-dessous est, me semble-t-il, un exemple typique de culpabilité délétère alimentée d’une part par le fait que le patient s’impose des «  missions impossibles » et d’autre part paradoxalement par le fait qu’il lutte contre son sentiment de culpabilité en se raisonnant. Dans ce cas recadrages et prescriptions de symptômes ont permis de sortir rapidement du cercle vicieux alimenté par la culpabilité. 

Eric est un père de famille récemment séparé de la maman de ses deux garçons de 5 et 8 ans.  Il est, par ailleurs, profondément amoureux d’une autre femme Véronique. Cet amour est partagé mais Véronique est écartelée entre l’envie et la peur quitter son mari. 

Quand il évoque son mal être, Eric parle de ses nuits d’insomnies passées à essayer d’anticiper et de contrôler les épreuves à venir : le partage des biens et de la garde avec son ex épouse, réorganiser sa vie avec les enfants. Il voudrait également être certain d’aider Véronique de manière optimale. D’emblée, il évoque aussi  cette culpabilité qui le ronge depuis la séparation. Il se sent coupable d’imposer le divorce à ses enfants. Néanmoins, il sait très bien que cette culpabilité qui l’amène à  pleurer quand il dépose ses enfants chez leur mère, à pleurer quand ses enfants lui racontent que cela ne se passe pas très bien chez maman, ne l’aide pas dans son rôle de père. Il voudrait donc que la prise en charge thérapeutique l’aide à se débarrasser de cette culpabilité qu’il sait excessive. 

Quand je le questionne sur ce qu’il fait de sa culpabilité, il m’explique qu’il se raisonne en se disant qu’il a attendu longtemps avant de prendre sa décision ; que sa femme n’était ni respectueuse avec lui ni respectueuse avec ses enfants ; qu’il n’avait plus aucun espoir de fonder un jour une  famille belle à ses yeux avec cette personne…. Tous ses amis et sa famille ont beau lui dire également qu’il a bel et bien fait tout ce qu’il pouvait et que la séparation était devenue inévitable,….rien n’y fait : l’acide de la culpabilité revient le ronger encore et encore. Il ne peut se défaire du sentiment que c’est de sa faute si les enfants doivent subir les inconvénients de la séparation.

En fait, Eric n’arrive pas à ne pas s’en vouloir parce qu’il s’était promis gamin que lui, contrairement à son père, serait un père parfait, protecteur, toujours présent pour ses enfants, qu’il leur offrirait cette belle famille que lui n’avait pas eue.  Son père avait abandonné la famille lorsqu’ Eric avait 3 ans. Pour Eric, son divorce est donc un échec qu’il ne se pardonne pas  quelles que soient les justifications qu’il tente de se donner. Sa mission a échoué et lui qui a toujours été un homme responsable – « sur responsable » -capable de protéger sa maman dès la prime adolescence et de construire sa propre maison à 25ans et d’assumer énormément de choses dans sa propre famille, se retrouve complètement désemparé, incapable de faire face à la complexité de la situation actuelle. 

Quand il pense à Véronique c’est pire parce que sa sacrosainte culpabilité lui dit que c’est aussi de sa faute à lui si elle se retrouve dans ce dilemme douloureux et qu’il est en train de briser une deuxième famille.

Gamin, Eric c’était donc bien fixé une mission impossible : contrôler sa future famille, sa vie et celle de ses enfants. Un mariage, une famille est un projet que l’on réussit ou pas à deux mais lui en avait pris toute la responsabilité sur ses épaules.

 Questions et reformulations recadrantes étaient donc nécessaires pour aider Eric à  percevoir sa situation sous l’angle de sa relative impuissance. Une argumentation n’aurait servi à rien si ce n’est à faire un peu plus de ce que l’entourage d’Éric et Eric lui-même avait déjà tenté en vain.

Certaines personnes s’accrochent désespérément à leur culpabilité parce qu’il est moins douloureux pour elles de se sentir coupables qu’impuissantes mais Eric a pu valider avec un certain soulagement le fait qu’il avait traversé et traversait encore des difficultés dans lesquelles il n’avait pas tout contrôle, tout pouvoir. Il n’avait pas eu le pouvoir d’amener son épouse à avoir les mêmes conceptions éducatives que lui ; il  n’avait pas eu le pouvoir de faire en sorte que leur attirance du départ évolue vers l’attachement et la complicité dont il  lui avait besoin. Il  n’avait ni décidé de tomber amoureux de Véronique, ni manigancé pour qu’elle tombe amoureuse de lui ….

Petit à petit, au fil de l’entretien, il est passé de  «  je peux et je dois avoir tout sous contrôle » à  « parfois on fait juste ce qu’on peut : on ne contrôle totalement ni l’autre, ni ses sentiments, ni l’avenir » 

Nous avons pu redéfinir ses attentes face à la prise en charge thérapeutique de la manière suivante : comment faire  en tant qu’amoureux pour juste attendre patiemment que Véronique prenne sa propre décision et mène sa propre lutte et, en tant que père, comment s’occuper de cette culpabilité dévorante pour devenir un père plus à l’aise dans ses baskets et donc plus à même de s’occuper de ses enfants ? Comment faire passer cette culpabilité d’un dosage délétère à un dosage adaptatif.

En fin de séance, nous étions d’accord sur le fait qu’il n’était malheureusement ou heureusement qu’un homme aux pouvoirs limités. Nous étions d’accord aussi sur le fait que plus il se raisonnait plus sa culpabilité s’exacerbait. En entretien, il avait été touché par les métaphores évoquant le tribunal  de la conscience et le juge interne trop sévère typiques des culpabilités excessives. Il était donc prêt à attendre la prescription paradoxale suivante :

«  Eric vous avez probablement raison vos enfants ont le droit d’avoir un père épanoui. Maintenant personne ne se dit : «  aujourd’hui je vais m’amusez à me culpabiliser ! ». La culpabilité, elle nous tombe dessus. Certaines personnes devraient parfois en avoir un petit peu plus, cela équilibrerait les choses mais vous faites partie des gens qui ont tendance à en avoir de trop…

Je n’ai pas de baguette magique pour vous dire : « Ok Eric arrêtez de culpabiliser ! Cela ne sert à rien ! » Vous vous l’êtes déjà dit, on vous l’a déjà dit et si vous êtes ici c’est que cela ne fonctionne pas…

Mais ce que vous pouvez faire, par contre, c’est décider vous-même du moment où vous tenez ce « tribunal intérieur » à propos de votre divorce parce que au moins ce sera fait sérieusement et le reste de la journée vous serez plus tranquille… »

Après avoir négocié avec Eric  les questions de timing, la prescription a été concrétisée de la manière suivant :

«  Donc tous les jours vers 17h quand les enfants ne sont pas là, vers 20h quand ils sont là, je vais vous demander de prendre 20 min non pas pour lutter contre votre sentiment de culpabilité mais, au contraire, pour vous poser sérieusement la question : « Eric finalement dans tout cela quelle est ta part de responsabilité ? » Alors vous allez avoir le procureur qui va vous dire que vous êtes responsable de tout et votre avocat qui va nuancer les choses ….Je vous demande d’écouter les deux parties et puis d’essayer de trancher. Je vous demande finalement d’apprendre à être un bon juge pour vous même. Est-ce que cela vous semble possible

«  Chaque jour donc vous allez siéger en cours d’assise parce qu’il y a certains jours où vous vous condamneriez bien à la prison à perpétuité… ! N’est pas ?»

Eric a souri quand il a entendu parler du procureur. Nous avons ri ensemble quand je lui ai parlé de la Cour d’Assise. L’humour est toujours un risque relationnel avec les patients. Comme disait G Orwell : «  Le but d’une blague n’est pas de dévaloriser l’être humain mais de lui montrer à quel point il l’est ». Néanmoins quand il est possible, quand la relation le permet, c’est sans doute la manière la plus élégante de faire voler en éclat la manière de voir une situation.

 

En effet, dès la deuxième séance, Eric grâce à ses ressources dont l’humour fait partie, était déjà nettement mieux.

Quand je lui ai demandé quel était le verdict du tribunal il m’a dit qu’en fait maintenant dès qu’une pointe de culpabilité montait  il la regardait et se rendait compte qu’il n’y avait pas lieu d’en référer au juge … Concrètement, en ce qui concernait sa propre séparation, Eric n’était plus envahit par des pleurs. Il avait lâché prise quant à son pouvoir de faire en sorte que tout se passe «  bien » »  quand les enfants étaient chez leur maman. Par contre il avait établi un cadre rassurant la semaine où les enfants étaient chez lui et cela se traduisaient par d’avantage de calme et de respect entre eux. En ce qui concernait Véronique, il était en train d’apprendre la patience et le lâcher prise.

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