Le thérapeute, ce contorsionniste au service de la relation, par Marie Vanlede

J’avais envie dans cet article de faire l’éloge des qualités qu’exige notre métier et en particulier de la souplesse dont nous faisons preuve pour accompagner chacun de nos patients vers le changement qu’il souhaite.

Chaque patient ouvre une porte sur un monde différent. Un monde avec ses règles, sa logique, sa vision bien spécifique. En tant que thérapeute, il faut savoir entrer dans chacun de ces mondes, avec souplesse et curiosité. C’est un exercice permanent d’agilité mentale. Qu’est-ce qui fait que ce que la personne dit, ressent ou fait a du sens pour elle ? La question centrale du thérapeute est là : comprendre la logique du monde intérieur de la personne. Nous adoptons pour cela cette fameuse posture de curiosité anthropologique : comprendre l’autre comme on explorerait une culture étrangère, sans chercher à la corriger d’emblée. Mais au contraire, rejoindre l’autre là où il est. C’est un travail de souplesse mentale, une forme de contorsion intérieure ; on s’adapte, on se plie.

C’est une gymnastique faite de questions, de silences, de « rejointoyure ». Et c’est dans cette gymnastique intérieure que quelque chose d’indispensable se tisse : un lien, une confiance. Car quand le patient sent que vous le comprenez vraiment, c’est seulement là que vous pouvez commencer à devenir stratégique.

Au fil de la journée, les univers s’enchaînent. A chaque fois, le thérapeute entre dans la logique, la fait sienne le temps d’une séance. Puis il en sort, et entre dans une autre, tout aussi singulière. Il jongle avec les logiques sans les juger, les adopte temporairement sans s’y perdre. Oui, nous sommes des gymnastes, des contorsionnistes au service de la relation.

Quand on fait le bilan des liens tissés à coups d’adaptation, souplesse et flexibilité au fil d’une journée de consultation, on se rend compte qu’on s’est tordu dans tous les sens, car, non, ce que la personne dit, fait ou ressent n’est pas toujours logique d’emblée, et peut parfois même être très éloigné de notre propre logique.

A titre d’exemple, j’ai pris une de mes dernières journées de consultation, typique ce celles que la plupart des thérapeutes vivent. Pour rejoindre chaque patient, j’ai dû chercher la logique de chacun de leurs comportements, chacune de leurs émotions ou pensées ; en quoi est-ce logique que cette mère de famille soit en larmes parce qu’elle s’est sentie nulle en faisant un minigolf avec ses enfants ? Que cette ado angoisse à l’idée de manger des aliments aussi basiques que du fromage ou des saucisses ? Que ce jeune étudiant en état d’épuisement se force à étudier de longues journées alors que sa mémoire et sa capacité de concentration lui font défaut? Ou encore que cette dame d’une soixantaine d’années a fait une tentative de suicide alors qu’elle allait mieux ces derniers temps ?

Pour comprendre comment ma première patiente de la journée, cette mère de famille, en est arrivée à fondre en larmes lors d’une activité récréative avec ses enfants, j’ai dû m’immerger dans son monde, un monde fait de désillusions et de profond manque de confiance en soi. Madame est en arrêt professionnel depuis plusieurs années, elle ne s’est jamais sentie à la hauteur dans son métier d’institutrice et a tenté de compenser par un perfectionnisme jamais rassasié, il fallait toujours donner plus, en espérant se sentir enfin légitime, compétente. Ce fonctionnement l’a menée à un burnout dont elle ne s’est toujours pas remise. Et qui a encore fait baisser son estime de soi. Depuis, toute situation où ses capacités sont remises en question d’une manière ou d’une autre provoque une angoisse incontrôlable. C’est ce qui s’est passé lorsqu’elle a joué au minigolf avec ses enfants, elle s’est sentie nulle et a retrouvé cette sensation qui la fait tant souffrir. En prenant connaissance de son histoire, j’ai pu la rejoindre et même l’aider à accepter qu’au vu de ce qu’elle a vécu, c’est logique qu’elle ait réagi de la sorte.

Ma deuxième patiente est une ado qui vient me voir parce qu’elle ne mange plus qu’une toute petite sélection d’aliments. Tout le reste, elle n’ose plus avaler. On pourrait a priori se dire qu’il suffit de se forcer un peu… Mais quand on entre dans son univers fait de danger et d’angoisse lié à des allergies à certains aliments, on comprend mieux comment elle en est arrivée là. A nouveau, c’est en entrant dans sa logique d’évitement que j’ai pu lui montrer que je  comprenais pleinement sa souffrance, un lien de confiance a pu se tisser.

Mon troisième patient est un jeune étudiant qui est dans un état d’épuisement psychologique lié à une pression énorme par rapport à ses études et le sport de haut niveau qu’il pratique. Mais il veut à tout prix réussir son année et se force à étudier même s’il n’arrive pas à ce concentrer et que sa mémoire lui fait défaut. En quoi est-ce logique de s’infliger des journées de blocus insoutenables et n’avoir rien retenu de ses cours in fine ? Il est perdant à tous niveaux. Mais quand on entre dans son monde fait de compétition et challenge, on comprend que c’est lâche d’abandonner, c’est pour les « losers » et lui ne fait pas partie de cette catégorie. Quand je lui ai montré que je comprenais pourquoi il se battait de la sorte, que je comprenais son univers de battant où l’abandon n’existe pas, j’ai senti un certain apaisement chez lui.

Ma dernière patiente, une petite dame la soixantaine, m’annonce en début de séance qu’elle a fait une tentative de suicide il y a quelques jours. C’est une patiente que j’accompagne déjà depuis quelques temps et je sais que sa vie a été parsemée de tentatives de suicide. Elle allait pourtant mieux les dernières fois qu’on s’est vues… Pourquoi est-elle donc à nouveau passer à l’acte ? Je la questionne pour comprendre, elle ne semble pas savoir mieux que moi… Nous cherchons ensemble et pointons qu’elle est épuisée physiquement par une maladie pulmonaire incurable qui l’empêche d’avoir un apport suffisant en oxygène. Ces derniers temps son état physique s’est dégradé, alors que psychologiquement elle allait plutôt mieux. Et comme dans son monde quand ça ne va pas, on passe à l’acte…

Notre métier nous demande une adaptation sans fin mais qu’est-ce que c’est riche et captivant de pouvoir entrer dans autant d’univers humains. Je ne cesserai jamais d’être fascinée par ce que l’humain me permet de découvrir.

Marie Vanlede

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