Que fait-on du passé dans le modèle Palo Alto ? Par Joëlle Ingber

Nous avons l’habitude d’enseigner que dans l’approche Palo Alto, nous ne nous occupons pas -ou très peu- du passé, car nous travaillons sur les interactions qui maintiennent le problème au présent, plutôt que nous pencher sur  ce qui qui a causé la difficulté à l’origine. 

A l’appui de ces affirmations, l’équifinalité nous rappelle qu’il n’y a pas de causalité nécessaire entre un événement  et les conséquences qu’il génère : un même événement peut engendrer plusieurs conséquences différentes, et un effet actuel peut trouver son origine dans  diverses causes différentes .

L’orientation thérapeutique ne porte donc  pas sur l’origine du problème, mais sur le (dys)fonctionnement actuel du système, maintenu par les tentatives de régulations.

 

Nous parlons à cet égard du questionnement « CIA » :  concret, interactionnel et actuel. Nous enseignons également  à nos étudiants à « déjouer » la question du pourquoi posé par le patient qui souhaite « comprendre »- ce qui constitue souvent une tentative de régulation qui lui permet de ne pas passer à l’action-  en lui proposant une alternative stratégique :

«  Préférez-vous  comprendre pourquoi cela a été généré, ou chercher comment  sortir de ce problème ? »

Toute cette épistémologie constitue l’essence du modèle Palo Alto, ce qui le différencie d’autres approches thérapeutiques.

Est-ce à dire que nous ne nous ne nous occupons pas du passé?

Absolument pas.

Le passé s’invite régulièrement dans notre approche, sous diverses formes.

*Tout d’abord, nos patients commencent souvent  par parler du passé lors des présentations,  et se décrivent  dans une perspective historique : «  Mes parents ont divorcé lorsque j’avais 7 ans, nous étions 3 à la maison et je suis l ‘aîné,  j’ai perdu mon petit frère à 11ans, ma mère était en dépression, nous avons habité 12 ans au Brésil » .

Il est probable que ce soit le résultat d’une habitude ancrée dans les mentalités issue des psychanalyses, selon laquelle on se présente  au  thérapeute en décrivant son histoire.

Ces informations, qui peuvent constituer – ou pas-  l’anamnèse de la difficulté, sont riches de contenu et nous donnent souvent des clés liées au contexte, qui permettent de mieux comprendre les valeurs,  la mythologie familiale, la  vision du monde ou les réactions du patient.

Il est évident que nous nous calibrons et  que nous accueillons cette présentation historique du patient, même s’il est important de la canaliser pour pouvoir glaner les informations utiles au maintien du problème actuel, que nous plaçons dans le mapping.

*Ensuite, même si une série de difficultés peuvent trouver une résolution -rapide et durable- sans devoir même évoquer le passé,  certaines séances peuvent gagner en puissance, en profondeur, en pertinence, en alliance thérapeutique et en précision lorsqu’on prend le temps d’aller explorer les expériences du passé du patient.

Ainsi, je peux mieux comprendre les troubles alimentaires de ma patiente lorsqu’elle m’explique que depuis qu’elle est petite, sa mère la stigmatisait car elle était « boulote », et lui disait qu’elle ne trouverait personne pour l’aimer si elle ne maigrissait pas.

Est-ce nécessaire pour l’aider à régler le trouble alimentaire dont elle souffre aujourd’hui ? Non, ce ne l’est pas. J’aurais parfaitement pu lui donner une tâche sans le savoir. Mais le savoir m’a permis non seulement de mesurer l’ampleur de sa souffrance lorsqu’elle est dans une période où elle compense en mangeant et donc mieux la rejoindre, mais aussi recadrer autrement. 

De la même manière, je  peux prendre la mesure de la panique – apparemment excessive- de mon patient lorsqu’il n’a pas de réponse lorsqu’il appelle ses proches, quand il m’explique  que son père s’est suicidé il y a 8 ans au cours d’une soirée où il s’était engagé à l’appeler et il ne l’a pas fait, pris par l’énergie festive de sorties avec ses copains.

Je peux aussi mieux identifier pourquoi cette patiente est convaincue qu’elle n’est pas digne de rencontrer quelqu’un  et rejoue un scénario d’échec: elle a été victime toute son enfance d’une violence psychologique répétée de son père. Cela m’a permis d’adapter mes tâches, et de faire un détour stratégique par une séance d’hypnose, plus adaptée que des recadrages, purement mentaux.

Cela me permet éventuellement d’identifier un trauma, de voir dans quelle mesure il interfère avec le problème actuel et l’aborder si c’est opportun.`

 Ecouter le patient parler du passé est parfois une condition nécessaire pour construire ou approfondir une relation de confiance avec lui : il a le sentiment que nous le comprenons mieux. Et en effet, j’observe que je crée un lien souvent plus fort lorsque je laisse les personnes expliquer ce qu’elles ont vécu dans le passé : j’ai davantage d’empathie, de compréhension.

Je saisis mieux la logique des tentatives de régulations : cela a souvent « du sens », qui apparaît, et que je peux mieux recadrer ensuite.

Cela permet  d’identifier en quoi ces expériences ont constitué des apprentissages batesoniens pour nos patients, qui ont orientés leur compréhension et leur appréhension du monde, et donc le registre des  réponses qu’ils ont développées .

Je peux davantage rejoindre leur vision du monde et recadrer en leur expliquant qu’ils ont développé des comportements adaptatifs à un contexte passé, qui cessent de l’être dans un contexte présent.

Ces éléments constituent des informations qui nous permettent, lorsque c’est nécessaire, de mettre le problème en perspective, avec du relief.

Cela permet également de mieux comprendre la vision du monde des patients, la genèse de leurs croyances. Comme si, laisser de la place à des éléments du passé à certains moments des séances, permet d’avoir une vision « 3D »

* Le passé est évidement utile à explorer pour identifier :

  • S’il y a eu un changement de contexte qui a favorisé l’émergence du problème : la fameuse question du « pourquoi maintenant ? »
  • S’il y a eu des exceptions au problème, que nous pourrons alors élargir.

Pour autant, nous n’allons pas dans le passé pour résoudre le problème. Le problème se résout au présent et pour le futur.

Il est important de ne pas perdre de vue le fait que lorsque nous explorons le passé, nous ne sommes pas en train d’explorer le problème, ni son origine, ni ses causes : nous sommes en train d’explorer le passé car nous identifions qu’il est intéressant de comprendre le contexte, qui permet alors de mieux cerner ce qui se reproduit encore aujourd’hui.

De la même manière, toute une série de difficulté ne nécessitent pas que l’on se penche sur le passé : elle peuvent être abordées avec leur dynamique propre, sans devoir se référer au passé.

Pire : laisser trop de place au passé peut constituer à la fois une tentative de régulation :

  • Du patient, qui veut « comprendre pourquoi », au lieu de changer
  • Du thérapeute, qui peut soit « s’y noyer », complexifier inutilement, voir aggraver le problème en l’alourdissant.

Trop insister dessus peut cristallier une difficulté, et créer des prédictions auto-réalisantes, qui entravent les nouvelles expériences .

Alors… quand parler du passé ?

Lorsque le patient manifeste le désir ou l’envie de partager quelque chose qui lui permet  ou nous permet de mieux comprendre ce qui se jouait.

Lorsque des comportements ou des visions du monde semblent extrêmement difficiles à faire bouger, malgré les recadrages.

Comment parler du passé ?

En posant des questions précises et en remettant les informations à leur « juste place » : ce sont des éléments du contexte dans notre modèle, pas des éléments de résolution.

Connaître des éléments du passé permet donc :

 -de donner sens à certaines réactions et les normaliser

- de mieux rejoindre la vision du monde du patient en remettant

- de recadrer de manière plus précise et impactante

- de comprendre les apprentissages batesonniens qui orientent les réactions

- d’identifier les freins liés aux croyances ou expériences passées

- d’adapter  tâches que l’on va donner,

A condition de lui octroyer la « juste fonction » et la « juste place » au sein du modèle Palo Alto.

Le passé est donc utile pour modifier le présent ?   … Vous ne le saurez qu’au futur, lors du feed back de vos interventions.

Joëlle Ingber

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