Que ce soit dans notre vie privée ou professionnelle, nous observons et vivons des situations qui sont frustrantes et qui peuvent devenir injustes.
Si vous avez regardé la finale de tennis messieurs de Roland-Garros cette année, vous aurez sans doute été sensibilisé par la ténacité des joueurs… Nous aurions souhaité que les deux gagnent, tant chacun méritait la victoire. Pourtant, dans le sport, il n’y a qu’un vainqueur… Comment le perdant gère-t-il sa frustration ? Est-ce qu’un sentiment d’injustice apparaît ?
Fanny, 18 ans, se faisait harceler à l’école. Malgré tous ses appels à l’aide, elle n’a pas été entendue. De plus, sa parole fut mise en doute, car son harceleur se victimisait.
Nicolas, 35 ans, voulait se suicider car il ne pouvait continuer à garder le silence devant son collègue qui, chaque jour, soufflait le chaud et le froid.
Odile, 26 ans, ne souhaitait plus sortir de chez elle depuis que des photos de « nudes » avaient circulé auprès de tout son entourage par un ex-compagnon vengeur.
Gauthier, 40 ans, a créé une société avec un associé qui semblait sur la même longueur d’onde. Finalement, ce fut un véritable exploiteur et voleur.
Dans le premier exemple, les joueurs semblent être à armes égales, chacun pouvant combattre l’autre. Pourtant, le perdant devra digérer émotionnellement, s’entraîner encore et encore pour essayer de changer les résultats. Cette frustration peut ainsi devenir un levier de changement. Mais s’il y avait eu des erreurs d’arbitrage au profit d’un seul joueur… le sentiment de frustration se serait sans doute déplacé vers le sentiment d’injustice.
Cela me permet de passer aux autres situations. Dans celles-ci, aucun n’a demandé aux hommes de loi d’intervenir… Étonnant pour celui qui a une vision du monde où sa valeur « justice » est importante. Par les dessins animés, les films, nous avons appris que le méchant (souvent moche et bête) perd toujours à la fin. En conséquence, un monde sans justice est considéré comme un monde sans paix.
L’humain, vivant avec cette sensation d’avoir été floué, n’aura pas toujours envie de passer par la voie officielle. Mais alors tout est-il perdu ? Les patients sont-ils condamnés à errer avec leurs injustices jusqu’à la fin des temps ? Garderont-ils l’impression d’être seuls contre tous, à l’instar de cet arbre pris en photo dans ma région… le seul illuminé parmi les autres…
Dans le processus de Palo Alto, il n’y a pas que la paix extérieure à soi qui compte, il y a aussi la paix intérieure… puisque le processus circulaire interne est important. Cette possibilité est tout aussi honorable dès lors que cela respecte la liberté du patient.
En consultation, il y aura plusieurs leviers à actionner pour aider, au mieux, à réguler les émotions liées à cette valeur bafouée :
Lorsque la victime tente d’obtenir justice (se justifier, convaincre, éviter le conflit), elle s’enferme souvent dans des réponses inefficaces qui renforcent l’emprise du manipulateur et qui perpétuent le sentiment d’injustice. En outre, elle risque d’en parler sans cesse à son entourage… ce qui risque d’agacer… renforçant encore plus le sentiment d’injustice : « Personne ne m’écoute ou ne me comprend. » La thérapie Palo Alto, en réalisant un 180°, aide alors à repérer ces TR pour sortir du cercle vicieux. C’est ce qui est le plus souvent réalisé durant le suivi. Ainsi, avec Nicolas, qui se défendait par le silence, nous avons mis en place des stratégies de réponses, simples et efficaces, que nous avons également réalisées en jeu de rôle lors de la consultation.
« Lorsque votre collègue râlera et critiquera votre travail, au lieu du silence, puisque vous l’aurez compris, ça permet à votre collègue de continuer, je vais vous demander de le regarder dans les yeux et de lui dire : “C’est quoi ton intérêt de me parler de cette façon-là ?” Observez la réponse.
Ici, nous avions ajouté : “En fait, je suis persuadé que cela t’apaise de me parler de la sorte, tu en as tellement besoin au vu des soucis que tu as dans ta vie privée et sexuelle. Je te permets de continuer puisque tu portes toutes ces frustrations.” »
Mais si le patient consulte alors qu’il a choisi de quitter l’endroit où il était martyrisé, le travail thérapeutique sera un peu différent. Bien qu’une part de lui soit soulagée, une autre part ressentira logiquement de l’injustice de devoir tout recommencer dans un nouveau lieu, sans repères. Dans cette phase de travail, restons vigilants à ne pas imaginer que ses tentatives de régulation ne sont pas adaptées selon le modèle Palo Alto… Comme au début d’un processus de deuil, les consultations auront pour but de vérifier si la régulation de l’émotion est adaptée. Auquel cas, cette régulation et le temps apporteront des améliorations.
La suite de la thérapie, dans une seconde phase, est tout aussi nécessaire qu’essentielle : comprendre les dynamiques à l’œuvre, les comportements, les pensées, les émotions qui ont permis de se faire utiliser injustement. Le but étant de ne pas répéter les mêmes schémas dans le nouveau système et de renforcer les capacités de discernement du patient. L’essence même de la thérapie systémique selon le modèle Palo Alto sera à ce stade. Globalement, les apprentissages seront souvent de :
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Redéfinir ses limites et oser dire non,
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Apprendre à poser des frontières,
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Cultiver une vigilance constructive, reconnaître les signaux d’alerte,
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Reconnaître les mécanismes qui ont rendu possibles les actes des auteurs,
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Apprendre à accepter que l’injustice fait partie de ce monde.
Bien plus tard, en phase de consolidation, il m’arrive parfois de poser la question suivante : « Si cette histoire horrible n’était pas arrivée, qu’est-ce que vous auriez raté ? » Il y a souvent une pause réflexive, car la question est particulière… Mais pourtant, elle me permet de vérifier les apprentissages des patients et donc leurs nouvelles tentatives de régulation. Ainsi :
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Fanny m’a répondu que sans cela, elle n’aurait jamais découvert d’autres amis, un réseau social épanouissant où elle se sentait à sa place. Elle a compris que tous les humains ne sont pas faits pour s’entendre et que certains correspondent mieux à des traits de personnalité que d’autres.
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Nicolas m’a dit qu’il aurait raté la capacité à sortir du silence dès que cela ne lui convenait pas et a découvert un collègue complètement différent.
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Odile m’a répondu qu’elle détestait son corps avant cette épreuve. Le fait qu’elle soit consciente que des personnes l’avaient vue en photo lui a permis de se dire qu’elle n’avait plus rien à cacher, car tout le monde savait… La conséquence de cette pensée : elle ne s’est plus sentie complexée (« foutu pour foutu, je m’en fous »).
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Gauthier m’a répondu qu’il se rendait compte qu’il n’aimait pas vraiment le business dans lequel il s’était lancé… Cela semblait « fun » mais sur le long terme, cela aurait été un travail peu intéressant intellectuellement.
Au vu de leurs propos, ils ont gagné ! Tous ces apprentissages me font penser à la chanson de Johnny Hallyday Diego, libre dans sa tête, car en effet, le plus beau cadeau que l’on puisse se faire à soi-même est d’être serein dans ses pensées et dans ses émotions.
Enfin, ne voulant pas tomber dans une happy end comme Disney, il est important de garder à l’esprit qu’il y aura des personnes qui vivront des injustices non réparables à 100 %, même dans l’esprit, et d’autres qui porteront encore des sentiments de colère, de tristesse… qui auront besoin de continuer à s’exprimer et à être entendus… La logique étant que leur régulation soit saine, et non intempestive.
Aurore Gilquin