Partage sur quelques pliages et dépliages linguistiques au pouvoir important. Par Philippe Faidherbe

Cet article, au titre peu explicite (sic ! 😉) a pour objectif de partager quelques réflexions sur la notion d’implicite et sur la manière  de le décoder en accompagnement, notamment lorsqu’il se combine à la notion de paradoxe pragmatique.


Un peu d’étymologie pour commencer avec l’implicite

Sans vouloir sombrer dans le jeu de mot facile, force est de constater que la notion d’implicite n’est pas si simple à expliciter … Ne serait-ce que pour la définir et en cerner les éléments qui le constituent !

Il est souvent aidant de consulter l’étymologie des mots pour en comprendre subtilement le sens au-delà des usages que l’on en fait qui sont largement influencés par nos propres représentations et par la culture locale dans laquelle nous sommes immergés.

Le Dictionnaire Historique de la Langue Française des éditions Robert nous indique que le mot « implicite » nous vient d’une forme passée « implicitus » du verbe latin « implicare » qui signifie « envelopper » ou « enrouler ». Le mot apparaît en premier lieu dans un contexte religieux pour désigner une foi établie sans connaissance parfaite de la doctrine. Ensuite, il voit son usage évoluer vers la notion de « sous-entendu », dans un registre de communication, pour désigner un contenu dans un propos qui ne soit pas expressément énoncé. De manière symétrique, le terme « explicite » vient de la forme passée du latin « explicare »  qui signifie « dérouler », « développer », « déployer ».

Ces deux termes complémentaires « im-plicare » et « exp-plicare » ont comme racine commune « plicare » qui signifie « plier ». Ceci évoque la notion d’un sens au sein d’un propos qui pourrait être comme « plié » à l’intérieur d’un message et qui, pour être compris, devrait être « déplié » vers l’extérieur comme par une opération de « dépliage » linguistique.

Vous disposez donc ainsi de quelques clés de décodage du titre de cet article 😉 qui le rendent moins mystérieux.

Aussi l’École de Palo Alto, par sa recherche, a mis en lumière un certain nombre de concepts pour expliquer la dimension pragmatique de la communication (les effets sur le comportement) sur la base des travaux de Gregory Bateson.

Le paragraphe suivant vous propose de s’attarder sur la notion de paradoxe pragmatique.

Poursuivons avec la notion de paradoxe pragmatique

Parmi les concepts mis en lumière par l’École de Palo Alto pour expliquer les mécanismes liés aux interactions humaines et à la communication, il y a la notion de paradoxe pragmatique dans lequel l’implicite peut jouer un rôle clé.

La dimension pragmatique de la communication est étudiée et illustrée avec brio par Paul Watzlawick et ses collègues du MRI, notamment dans l’ouvrage « Une logique de la communication ». 

Pour illustrer le concept ou se le remettre en tête, attardons-nous sur l’exemple suivant qui devrait vous parler :

Dans un couple ayant l’expérience de quelques temps de vie commune, Madame ressent une frustration grandir, de voir Monsieur  négligeant et oublieux dans ses marques d’attention. Les petits présents ou gestes qui feraient bien plaisir à Madame s’avèrent cruellement absents de leurs échanges. Portée par sa frustration grandissante, et accordant une importance particulière au fait que ces types d’attentions ne puissent être réellement valables que si elles sont spontanées, elle prend les devants et lui dit ce qui ressemble à une forme d’une commande : « Je veux que tu me fasses plaisir spontanément ».

Si on examine les possibilités offertes au mari pour répondre à la commande :

  • Soit il poursuit sur la même voie (ne pas manifester d’attentions) et ainsi ne répond pas à la demande de faire plaisir ;
  • Soit il répond à la commande en manifestant des attentions mais comme il répond à la commande, il ne respecte pas l’attente de se montrer spontané.

Le mari se retrouve ici dans l’impossibilité « d’obéir à la commande » car elle comprend deux éléments dont l’attelage génère ce paradoxe. En effet, l’obéissance à la commande sur le contenu attendu (faire plaisir) entraîne une désobéissance sur la posture attendue (avec spontanéité).

Cet exemple bien connu de paradoxe pragmatique est généré par des éléments explicitement exprimés au sein d’une même phrase. Ils ont tendances à générer de l’inconfort, voir de la souffrance vers le receveur du message, qui se retrouve, comme notre mari, coincé dans la situation qui se présente à lui. Bien sûr, si Monsieur, connaît et peut faire appel à la métacommunication, il dispose du moyen, si pas de s’en sortir, au moins de pouvoir expliciter son impossibilité de donner satisfaction à Madame. Mais ce sujet mériterait un autre développement à part entière, et restons sur la question du décodage des situations délicates à vivre.

Poursuivons donc notre chemin en examinant, maintenant, le cocktail détonnant qui peut résulter du mélange rarement conscient de l’implicite et du paradoxe pragmatique.

 

Quand implicite et paradoxe pragmatique se combinent dans nos relations

Prenons cette fois l’exemple d’une maman qui s’épuise à faire faire aux autres membres de la famille (allez ! prenons un de ses enfants, « ado », au hasard) telle ou telle contribution à la gestion du foyer (par exemple ranger dans le lave-vaisselle la vaisselle utilisée pour un « goûter » pris au retour du collège, pour trouver le réconfort nécessaire après une journée harassante passée avec des profs d’une autre époque).


La maman en question s’épuise à répéter inlassablement « tu dois ranger la vaisselle de ton goûter .. ! », message qu’on peut imaginer étayé d’autres messages étouffés d’exaspération ou d’irritation, mais qui avec le temps restent malheureusement sans résultat. La maman ayant, de toute évidence, des attentes supérieures à celle de son ado, finit par ranger ladite vaisselle et nettoyer la table pour retrouver place nette.

Cette maman, bien malgré elle, envoie ici un double message :

  • Une première partie de message qui dit de manière explicite: « Tu dois ranger ! » ;
  • Mais aussi, une deuxième partie de message implicite qui se décode de sa manière de réagir car elle prend en charge le manque de son ado, à savoir : « … Mais si tu ne ranges pas, je la rangerai à ta place », partie qui n’est bien sûr pas dite.

Imaginons que la maman dise à son ado et de manière explicite « Tu dois ranger … mais tu peux ne pas ranger, c’est pareil pour toi ! ».
On imagine assez bien l’option retenue par l’ado dans la dynamique qui l’habite à l’idée de ranger sa vaisselle 
😉.

Je vous propose le petit exercice qui suit qu’on pourrait intituler « dans la peau d’un ado » :

Imaginez-vous, en fermant les yeux, visualiser une personne plutôt proche de vous en train de vous adresser la phrase qui va suivre à propos de quelque chose que vous faites régulièrement et qui irrite cette personne, vous pouvez même imaginez d’entendre sa voix si vous y parvenez …,
Voilà la phrase que vous dit la personne :
«  Tu dois changer ! … Mais si tu ne changes pas il n’y aura pas de conséquences pour toi ! »

Que ressentez-vous en entendant cette dernière phrase curieuse et peu naturelle ? de la surprise ? de l’amusement ? de l’incompréhension ? ou autre chose peut-être ?

Quoiqu’il en soit, et sauf pointe de culpabilité ressentie qui pourrait vous faire « bouger », probablement que vous ne vous sentez pas emporté(e) d’un grand élan de mobilisation pour répondre favorablement à l’injonction à changer.

Mais revenons à notre maman en proie à la flemme de son ado en décortiquant un peu plus la structure linguistique de ce qui s’exprime dans son propos. Ici le paradoxe pragmatique qu’elle renvoie donne une autorisation bien malgré elle qui vient déforcer son message initial .

La structure du message pourrait se résumer comme le petit tableau suivant l’indique :

Forme du message

Effet produit pour le receveur

Effet produit pour l’émetteur

Injonction ou demande explicite
+
Action/posture/attitude qui donne une autorisation implicite contraire

Utilisation de l’autorisation implicite ainsi donnée à ne pas suivre l’injonction

Limitation voire annulation de l’injonction ou de la demande explicite

 

Frustration, lassitude liée à l’absence de résultat

Dans le cas présent le paradoxe pragmatique n’est pas inconfortable pour le receveur mais pour l’émetteur, mais, bien sûr, il est aussi possible de retrouver un paradoxe pragmatique ou les inconforts vécus s’inversent.

Prenons cette fois l’exemple qui suit, en retournant dans un contexte de couple.

Madame a envie de sortir ce soir avec ses copines et Monsieur, n’ayant rien prévu de son côté, lui rétorque lorsqu’il apprend le projet de Madame : « Bien sûr, tu es libre de sortir avec tes copines pour la soirée, tu le sais bien ! » lui dit-il comme à l’accoutumée, … et lorsque que Madame se retrouve dans ce type de soirée, elle a l’habitude de recevoir sans discontinuer des messages de Monsieur qui lui dit « je m’ennuie, je me sens seul »  … « mais ce n’est pas grave car l’important c’est que tu t’amuses » …  

Cette forme de paradoxe pragmatique répond cette fois à la structure symétrique suivante :

Forme du message

Effet produit pour le receveur

Effet produit pour l’émetteur

Autorisation explicite
+
Action/posture/attitude qui renvoie un message implicite contraire à l’autorisation

Inhibition à profiter de l’autorisation explicitement donnée (culpabilité, découragement, crainte de la suite, frustration, …)

 

Sentiment de se sentir coincé

Pas toujours conscient mais possible recherche consciente de culpabilisation

Ce type de structure de message se retrouvent parfois dans les situations des personnes que nous recevons en accompagnement qui :

  • Soit subissent les effets non souhaités de demandes inefficaces de leur part conduisant souvent à l’épuisement, à un sentiment d’incompréhension ou de dénigrement générés par la réaction de leurs interlocuteurs qui ignorent les demandes en question
  • Soit subissent les effets de demandes de la part d’interlocuteur, plutôt en position hiérarchique ou dominante, qui sont impossibles à honorer, et qui entraînent stress, mal être et déconsidération
  • Soit subisse les effets non souhaités de « fausse autorisation » vécue de manière frustrante ou culpabilisante

… Et le vivent mal. 

La question « comment, dans ces cas là, aider les patients à moins souffrir » se pose alors en accompagnement et le paragraphe de conclusion de cet article en évoquera les grandes lignes.

Comment accompagner les souffrances générées par ces situations (très grandes lignes)

L’idée n’est pas ici de développer en détail une méthode d’accompagnement mais d’évoquer quelques clés qui nous sont fournies par l’approche systémique et stratégique de Palo Alto, dont les fondements reposent, entre autres, sur les apports scientifiques qui ont permis de comprendre les mécanismes fins et parfois déconcertants du fonctionnement des relations humaines.

Le thérapeute qui reçoit un patient qui souffre de situations telles que décrites à la fin du paragraphe précédent pourra :

Cette manière de faire vise à procurer de nouveaux apprentissages pour sortir durablement des situations non désirées, de manière non culpabilisante tout en tenant compte des freins potentiels du patient (risques du changement) pour amener la progressivité et empathie nécessaire à la sortie du cercle vicieux.

Philippe Faidherbe

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