Quand le sage montre la lune, le coach systémique… regarde aussi le doigt. Et c’est plutôt rassurant. Par Anne-Sophie Kersten

Lorsqu’un coach débarque en entreprise, c’est souvent parce qu’un·e RH a levé le drapeau rouge.
Parfois, cette personne a discuté avec les protagonistes, observé la scène, et transmet une demande qu’elle pense bien ciblée. D’autres fois, le coach reçoit un paquet pré-ficelé : un cas transmis par un conseiller en prévention, lui-même alerté par un collègue épuisé, un manager dépassé ou un conflit qui fait des étincelles.

Dans les deux situations, l’approche systémique rappelle ceci : celui qui désigne le problème… en fait très souvent partie.
Alors quand on demande au coach de « rendre un manager plus directif », de « réconcilier deux collègues en guerre » ou de « faire taire les messes basses », il vaut mieux garder une petite question en tête : Et si le demandeur lui-même faisait partie du problème ? Ou pire : Et si sa demande aggravait la situation ?

Je repense à ce duel entre la secrétaire du CEO et le responsable IT d’une entreprise agroalimentaire.
Cinq ans qu’ils s’envoyaient des piques comme dans une mauvaise série télé.
Et surprise : après quelques entretiens (direction comprise), la principale tentative de résolution… venait de l’équipe dirigeante !
Au lieu de fixer des règles claires (« On ne hurle pas sur un collègue, merci ! »), elle prônait une paix universelle : « On vous aime tous les deux, entendez-vous, c’est tout ! » Résultat : chacun testait les limites du cadre… qui reculaient. Et la tension montait chaque année, contaminant d’autres services, jusqu’au risque de blocage de l’usine par les syndicats.

Autre exemple : une équipe épuisée parce qu’un collaborateur monopolisait les réunions, coupait tout le monde et imposait ses idées. Le manager, excédé, voulait faire travailler l’assertivité du reste de l’équipe pour que chacun « ose enfin s’exprimer face à lui ».
Sauf que… l’équipe le faisait déjà depuis des mois ! Ce qui poussait le fameux collaborateur à redoubler d’efforts pour garder le contrôle. En renforçant l’idée que « l’équipe doit se défendre », on nourrissait en fait la dynamique et le pouvoir de celui qui prenait toute la place.

Le doigt du coaché

Parfois, c’est la personne coachée elle-même qui pointe la lune : « Voilà mon objectif, votre mission, cher coach ». Là encore, le systémicien s’intéressera au doigt… et surtout à celui qui le tend. L’objectif affiché (inaccessible ?, contre-productif ?), n’est-il pas précisément ce qui entretient la difficulté ?

Je pense à cet entrepreneur terrifié de voir son carnet de commandes se vider, et qui voulait être « moins angoissé ».
Après deux ans à essayer de se calmer, ses angoisses devenaient paralysantes. Plutôt que d’essayer, moi aussi, de réduire sa peur, nous avons exploré tout ce qui justifiait qu’il soit inquiet. Cela lui a permis de trier ce qui relevait du fantasme et ce qui nécessitait une vraie action : réorganiser son équipe et repartir en prospection.

Le courage

La tentation existe, pour un coach, de viser la lune pointée par le commanditaire. Valider sa lecture peut sembler plus confortable… et plus commercial. Mais à chaque contrat potentiel, le coach peut aussi se rappeler ce qui l’anime : l’honnêteté, l’authenticité, et le courage de dire la vérité qui dérange. « Vous faites partie du problème. C’est donc avec vous que je propose de commencer le travail. » Une phrase pas toujours populaire, certes. Mais souvent indispensable pour décrocher des clients eux aussi courageux, prêts à entamer un changement réel et durable.